Quand j’ai vu ma femme partir, j’ai sangloté longtemps. Marine me parle sur le pas de la porte, me tend une liste de choses dont j’aurai besoin pour me nourrir, changer les couches, mais je ne comprends rien. Les larmes apparaissent dans mes yeux. Ils brouillent ma vision de la liste et de ma femme.
Depuis, je suis père célibataire. Pour toujours, en permanence, en gros pendant deux heures, mais c’est la même chose. Je supplie Marine de rester, mais elle est sans cœur et dit qu’elle doit se faire enlever une dent et obtenir un certificat de travail, et peut-être qu’elle doit aussi aller chez le coiffeur.
J’étais choqué quand elle m’a dit qu’elle devait aller chez le coiffeur. Elle aurait tout aussi bien pu dire qu’elle ferait un petit voyage à vélo aller-retour au Honduras. Elle vient de m’abandonner ! Je m’en fous de ce que Marine va faire, les chances de survie avec Franck dans ses bras sont encore plus petites que les chances que notre équipe trouve le but de l’adversaire sur le terrain et le frappe avec quelque chose qui ressemble à un ballon…
Première révélation. Au bureau d’état civil, j’ai sincèrement promis de partager toutes mes joies et mes peines avec Marine. Mais personne ne m’a prévenu que je devrais rester à la maison avec l’enfant.
Avant que sa femme ne parte, elle nourrit et endort Frank toute seule. J’ai une lueur d’espoir que cela fonctionnera peut-être. Si j’ai de la chance, ma seule tâche est de ne pas réveiller pendant deux heures notre enfant, ce génie déchirant avec ses cris, cette usine de couches mouillées qui, selon les documents, est mon fils.
Ma femme s’est enfuie, Franck dort. Je me tiens dans le couloir sans respirer, j’ai peur de me gratter, j’ai peur de bouger, j’ai peur de digérer la nourriture. Je limite autant que possible mes activités de la vie. Je suis un homme monolithique et une statue de sel. Je ne respire pas, je ne bouge pas, je ne cligne pas des yeux. Je suis un arbre. Les arbres meurent debout. Je peux tout supporter, mon fils dort !
Deuxième révélation. Le rêve de Marine dure exactement une minute et demie et Franck ronronne déjà, se réveille et commence à faire du bruit. Quand mon fils commence à bouger dans le lit, je lui chante une mélodie douce. Dors, Franck, ne traumatise pas ton pauvre papa.
Je suppose que dans ma précédente incarnation, j’étais un chanteur professionnel.
Je peux hypnotiser tous mes voisins à quelques kilomètres. Même les oiseaux s’endorment en vol. Je ne sais pas encore si c’est un piège ou s’il continuera sa sieste – marmonna pensivement mon fils dans son lit.
Mon téléphone portable sonne sur la commode avec une sonnerie très forte ! Pourquoi tu ne l’as pas éteint, idiot ?
Le téléphone cessa de sonner et Franck ouvrit les yeux. Tous mes efforts se sont révélés inutiles. Rempli de larmes, j’ai attrapé mon téléphone portable. Un jour de congé, quelqu’un appelle le patron pour une raison quelconque. Qu’est-ce qui se passe ?
– Chère Secrétaire ! Si vous m’appelez pendant votre jour de congé pour me rappeler à quel point vous êtes une garce sans cervelle, vous avez atteint votre objectif.
J’abandonne la conversation. Franck est bien éveillé et pousse un hurlement de 150 décibels pour le prouver. Les rideaux s’envolent par la fenêtre et derrière eux se trouve un vase de fleurs.
Un voisin frappe et demande pourquoi j’essaie des bombes soniques sans consulter les autorités ?
Je veux pleurer avec mon fils, je veux courir et poursuivre Marine, lui dire de dépêcher parce que sinon je deviendrais fou à ce rythme là…
Franck crie de plus en plus fort, le gémissement me faisant piquer les oreilles. Il est impossible d’écouter ce cri. Fils, que t’a fait ton père ? Tu cries dans toute la maison et je t’ai ressuscité, d’ailleurs, cher Franck… Je n’ai pas dormi un instant ! Si tu savais comment ta mère m’utilise… ses maux de tête, ses mauvais jours… mais je l’ai fait, Franck ! Je t’ai donné la vie, et toi… si petit et déjà ingrat.
Je ne me souviens pas de l’âge de mon fils.
Je n’ai pas regardé, j’essaie de déterminer quand Marine a arrêté d’être enceinte, mais les hurlements de Franck interrompent mes pensées. Il me semble que Marine a toujours été enceinte. Peut-être que ma femme libère les bébés par petits lots et en garde quelques-uns en réserve pour ne pas sursaturer le marché ?
Franck hurle comme une sirène et donne des coups de pied dans le lit comme un kick boxeur professionnel. D’après mes calculs, il a peut-être entre deux et dix mois, mais il est aussi fort qu’un enfant de seize ans. Il continue d’essayer de se tordre. Comment Marine le tient-il ? Peut-être que les femmes ont des ventouses sur la poitrine comme une pieuvre.
Je me souviens que j’étais censé lui donner à manger. Je n’ai pas le temps de lire les instructions de ma femme, il n’est pas difficile de mettre le biberon dans la bouche de mon fils – surtout dans une bouche aussi criarde. J’ai bien compris du premier coup !
Mon fils peut cracher du lait dans toutes les directions, y compris le plafond, le ciel et l’espace. Il pourrait facilement remporter une médaille dans ce sport.
Après avoir craché du lait partout dans l’appartement et dans l’espace, Franck se désintéresse de moi et de la bouteille. Il crie à nouveau. Je le berce dans toutes les directions, je le jette, je me retourne, j’essaie de le distraire. Je lui chante une berceuse, je rappe sur le réglage des meuleuses d’angle sur l’air de sa berceuse préférée et je parle des bases de la mécanique des vagues en gravité réduite.
C’est un angle mort. J’essaie de divertir mon fils avec une histoire sur le dernier discours du président. La nouvelle tombe à point nommé ! Soudain, Franck rit, pète et fait caca. Il semble comprendre quelque chose.
S’il y a un enfer quelque part, il est rempli de couches pour bébés usagées.
Peut-être que mon voisin d’en bas pourrait me prêter une combinaison de défense chimique. La puanteur me pique les yeux. Franck crie et s’échappe de mes mains. C’est très difficile de savoir où est la couche, où est mon fils et où je suis en même temps.
J’entraîne mon fils qui crie dans la salle de bain, j’ouvre l’eau chaude et je suis immédiatement submergé.
Même si le père essaie de laver son fils, l’un d’eux sera toujours couvert de merde.
Cette substance rampante que Franck a produite dans sa couche est transférée de lui à moi, de moi au lavabo, du lavabo au miroir, du miroir à Franck, avec plus ou moins de succès. Il semble aimer étaler cette substance sur son propre père.
Marine, pourquoi es-tu partie ? Pourquoi as-tu donné naissance à Franck ? Mère, pourquoi m’as-tu donné naissance ? Dieu, pourquoi as-tu créé toute l’humanité ?
Et quinze minutes seulement s’étaient écoulées depuis le départ de ma femme. Combien de révélations supplémentaires m’attendent si je vis pour la voir revenir ?