“Ma grand-mère s’est mariée jeune et sans amour. Mais elle a supporté ce mariage avec dignité et je n’ai jamais entendu un mot de plainte de sa part… Jusqu’à ce que mon grand-père, âgé de 75 ans, soit envoyé dans un sanatorium. Ma grand-mère lui a préparé une valise et il est parti pour 21 jours. Le dernier jour, il a appelé pour dire qu’il avait rencontré une femme remarquable et qu’il ne reviendrait pas. Il allait rester avec elle. Mais la grand-mère n’a pas versé une seule larme. Elle a ordonné une messe d’action de grâce à l’église et s’est réjouie comme une enfant…”
Grand-mère a vécu dans l’ombre de grand-père, comme sa bonne. Jusqu’à ce que grand-père soit orienté vers un sanatorium
Je voudrais vous raconter l’histoire de ma grand-mère, décédée il y a quinze jours à l’âge de 90 ans. Ce n’est que des années plus tard que nous avons réalisé à quel point elle était une femme forte. Elle a passé la plus grande partie de sa vie avec son grand-père, qui était un homme particulier. Il avait un caractère irréprochable et c’est lui qui dirigeait tout dans la maison.
Enfant, je ne m’en suis pas rendu compte parce que je leur rendais rarement visite et que je ne faisais tout simplement pas attention à ce genre de choses. Avec nous, les petits-enfants, il se comportait différemment. Il se permettait de faire des blagues et de jouer avec nous… Je n’avais donc aucune idée de ce que ma grand-mère avait dû endurer au fil des ans. Il exigeait d’elle une subordination totale.
Grand-mère subit son sort sans protester ni se plaindre. C’est ce qu’on lui a appris. Elle s’est mariée jeune et sans amour. Elle considérait le mariage comme une obligation et s’étonnait qu’aujourd’hui il y ait tant de divorces et que les gens ne respectent pas leurs propres vœux….
Elle a persévéré auprès de son grand-père pendant des décennies. Jusqu’à ce que la santé de son grand-père décline et que, sur décision d’un médecin, il soit envoyé dans un sanatorium pour y être soigné. Il avait alors 75 ans et elle avait huit ans de moins que lui.
Elle a repassé ses chemises, ciré ses chaussures, mis ses plus beaux vêtements dans une valise pour que tout soit en ordre. Et grand-père est parti, gonflé à bloc parce qu’il pensait qu’il n’avait pas besoin de cure.
Le dernier jour de la tournée, grand-père a téléphoné. Il a annoncé qu’il ne reviendrait pas….
Il est parti pendant 21 jours. Pendant cette période, il n’y a eu aucun contact avec lui. Soudain, le dernier jour, grand-mère a répondu au téléphone. Elle pensait que grand-père l’appelait pour lui dire à quelle heure il devait venir le chercher au train… Mais non !
Il a dit qu’il avait rencontré quelqu’un et que grand-mère ne devait pas l’attendre parce qu’il ne reviendrait pas. Il vivra avec cette femme. C’est ce qu’il a décidé. Mais elle n’a pas voulu l’en empêcher !
Je n’ai jamais vu ma grand-mère aussi heureuse que ce jour-là. Elle s’est réjouie comme un petit enfant. Elle a couru à l’église pour ordonner une messe d’action de grâce pour le début d’une nouvelle vie. Enfin, elle l’a écarté du chemin.
Pour la grand-mère, c’est le début d’une nouvelle vie
Finies les bagarres pour des raisons insignifiantes. Fini le repassage des chemises pour qu’il ne reste pas le moindre pli sur la manche, parce qu’après tout, c’est un énorme délit….
Fini de préparer le dîner à une heure fixe… Après tout, si elle avait cinq minutes de retard, il ne mangerait plus et il l’engueulerait tout de suite.
Fini d’inhaler la fumée de cigarette, de nettoyer les rognures d’ongles sur le sol et de ramasser dans les coins les déchets qu’il n’a pas jetés à la poubelle.
Fini de tout faire sous la dictée d’un homme qui la traitait comme une servante et ne lui disait jamais un mot gentil.
Au début, elle tremblait de peur que son grand-père ne change un jour d’avis et ne se présente sur le pas de sa porte avec une valise… Mais il ne revenait que pour récupérer ses affaires.
Dès lors, la grand-mère commence à vivre seule. Elle se peint les ongles en rouge. Elle cesse de teindre ses cheveux gris.
Elle s’est préparé des dîners légers au lieu de viandes frites lourdes. Elle a acheté des taies d’oreiller à fleurs et des tableaux colorés. Elle a planté dans le jardin des plantes à fleurs auxquelles son grand-père était allergique, du moins le prétendait-il.
Elle nous a demandé de commander un fauteuil à bascule. Dès lors, elle s’est assise sur la terrasse et a crocheté de belles écharpes au lieu de perdre son temps devant le fer à repasser. Elle a écouté le chant des oiseaux au lieu d’écouter les commentaires incessants et les éternelles réprimandes. Elle finit par retrouver sa voix…
Il y avait beaucoup de veufs dans le village où elle vivait, mais elle ne voulait même pas entendre parler de remariage.
Des années plus tard, alors que je n’étais plus une enfant, elle m’a raconté son histoire. Aujourd’hui, je suis sûre qu’elle est morte heureuse.